En 2013, avec « 20 ans d’écart », le célèbre réalisateur français David Moreau s’attaque à un genre inédit pour lui : la comédie romantique.
Mais comme pour ses autres œuvres, dans le cinéma de genre, dont il a fait sa marque de fabrique, il repousse les frontières de la narration conventionnelle.
D. Moreau brosse en toile de fond un portrait de notre société, avec une analyse humoristique et perspicace des thèmes intemporels tels que l’âge, l’amour, les relations intergénérationnelles, la recherche du bonheur et les normes sociétales.
Une approche originale de sujets intemporels
Sorti en 2013, « 20 ans d’écart » est une comédie romantique française réalisée par David Moreau. Le film met en vedette Virginie Efira dans le rôle principal d’Alice Lantins, une journaliste presque quarantenaire, ambitieuse et obnubilée par son métier pour le magazine de mode parisien Rebelle. Afin de paraitre moins rigide aux yeux de ses collègues et supérieurs, et décrocher le poste de rédactrice en chef, elle se lance dans une vraie-fausse idylle avec un jeune stagiaire de 20 ans, interprété par Pierre Niney, nommé Balthazar Apfel. L’histoire se construit autour d’Alice, qui navigue entre les défis de maintenir cette façade pour obtenir sa promotion tout en découvrant des aspects de la vie et de l’amour qu’elle n’avait pas anticipés.
La différence d’âge notable entre Alice et Balthazar reste d’actualité parmi tous les sujets de société. Certes, depuis des décennies, de nombreux films mettent en avant la liaison d’une femme mûre avec un homme nettement plus jeune. Les exemples sont nombreux à l’international, mais aussi en France. De « Lauréat » en 1967, « La Fièvre d’aimer » en 1990, « Petites confidences (à ma psy) » en 2005, « Perfect Mothers » en 2013, « Trop jeune pour elle ! » en 2007, « Toy Boy » en 2009, ou encore « MILF » en 2018, le thème des « couguars » est exploré sous toutes les coutures au fil des décennies. La question centrale reste inchangée : « pourquoi la relation entre une femme d’âge mûr et un jeune homme interpelle, voire choque, quand une situation similaire impliquant un homme d’âge mûr avec une jeune fille est considérée comme normale ? »
L’histoire de ce couple improbable est assez classique dans son cheminement depuis la rencontre dans l’avion, le jeu de séduction, la rupture suivie de retrouvailles. Toutefois, outre l’âge, David Moreau parvient à se démarquer en adoptant un angle inédit pour traiter cette thématique, en faisant reposer la relation entre les deux principaux personnages sur un subterfuge. Virginie Efira, devenue une véritable « spécialiste » de la comédie romantique après « L’amour c’est mieux à deux » (2010) et « La chance de ma vie » (2011), porte le rôle de la MILF avec brio.
Pour son incursion dans le domaine de la comédie sentimentale, il a d’ailleurs co-signé le scénario, avec Amro Hamzawi. Le réalisateur explique avoir construit l’intrigue sur la base de la différence d’âge, puis intégré le point de vue féminin d’une femme qui se retrouve piégée par ses propres mensonges. Au-delà de la relation à deux, il explore le cheminement intérieur d’Alice, qui lutte contre l’autocensure dictée par son éducation, les conventions, la peur du jugement des autres, l’angoisse que cet homme plus jeune se lasse rapidement, et finit par assumer, tirée par la spontanéité de Balthazar, pour se libérer et devenir enfin elle-même.
L’audace comme maître-mot pour tous les aspects de la réalisation
Bien qu’il ait repris certains des codes des films de genre pour le cadrage et le rythme de « 20 ans d’écart », David Moreau ne s’est pas laissé enfermer dans un moule. Pour le tournage, il a délaissé les « normes » modernes en choisissant un objectif anamorphique 35 mm, au lieu du numérique.
Il explique que « si ce format des années 50 peut pécher par une certaine lourdeur, les possibilités qu’il offre en matière de traitement de l’image donnent à celle-ci une dimension et un rendu plus propices à susciter l’émotion chez le spectateur ». Grâce au « format » de l’image, la complicité évidente entre Virginie Efira et Pierre Niney explose littéralement à l’écran.
David Moreau s’est par ailleurs entouré de pointures dans leurs domaines respectifs. Jean Rabasse, dans le rôle de chef décorateur, a peaufiné le cadre au sein d’une vraie rédaction de magazine de mode, reconstitué dans la Cité du Cinéma de Luc Besson. Côté costumes, c’est à Isabelle Pannetier, costumière à la filmographie remarquable, qu’est revenue la lourde tâche d’imaginer les vêtements qui renforceraient le sex appeal du personnage féminin et montreraient l’évolution de son état d’esprit. Le défi a été relevé haut la main. Dans l’univers exigeant de la mode, choisi comme environnement pour la comédie, Alice passe de tenues rigoureuses qui lui offrent un bouclier contre le monde, à des vêtements qui s’imposent comme des accessoires pour mettre en valeur sa sensualité et jouer avec tous les codes de l’extrême féminité.
Après le succès de ses précédents films dans le genre horrifique, David Moreau démontre sa capacité à basculer vers un registre cinématographique totalement différent.
Il reconnaît lui-même avoir eu « très envie de faire une comédie romantique » après avoir terrifié des millions de spectateurs avec « Ils » en 2006, et « The Eye » en 2008, mais aussi la science-fiction avec « L’Empire des loups » en 2005.
L’audace du scénariste a pris d’autres dimensions, dont les spectateurs n’ont pas forcément conscience.
En effet, si la plus grande partie du film a été tournée en région parisienne, quelques scènes prennent place au Brésil, dans la Rocinha. Cette favela, la plus grande de Rio de Janeiro, est aussi réputée pour être l’une des plus dangereuses du monde. Ce qui n’a pas empêché une équipe réduite dirigée par David Moreau de s’y rendre pendant quelques jours et de faire déambuler une Virginie Efira habillée en haute couture dans ses rues, attirant une population locale curieuse et peu habituée de ce genre de spectacle.
Les émotions sont encore une fois au rendez-vous, malgré la légèreté du ton. Familier et frais, accessible et unique à la fois, « 20 ans d’écart » a été bien accueilli par des publics de tous âges, comptabilisant plus de 1,4 million d’entrées dans les cinémas de France, confirmant la polyvalence de D. Moreau en tant que réalisateur.
Fimographie :
- 2020 KING
- 2016 SEULS
- 2013 20 ANS D’ÉCART
- 2008 THE EYE – Co-réalisé avec Xavier PALUD
- 2006 ILS – Co-réalisé avec Xavier PALUD